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Le Brésil (2)

En route pour Manaus

Première chose à faire : passer la frontière. J’obtiens sans problème ma sortie du Venezuela, sous la forme d’un tampon. Je commence à être familier avec ce système d’entrées et de sorties. En fait, lorsque l’on entre dans un pays, les services de l’immigration mettent un tampon «Entrée»  daté du jour de l’entrée et avec la période pour laquelle l’on est autorisé à séjourner dans le pays en question. Si rien n’est mentionné pour la durée cela signifie, en général, pour l’Amérique du Sud en tout cas, une période de trois mois. Puis, à la sortie du territoire, les services de l’immigration du poste frontière par où l’on passe mettent un tampon «sortie» sur le passeport. La subtilité de la chose vient du fait que les services de l’immigration du pays où l’on entre vérifient si l’on a bien obtenu le cachet de sortie du territoire du pays que l’on vient de quitter. Si ce n’est pas le cas ils ne vous laissent pas entrer…

 

Bon, pour moi il n’y a pas de problème puisque je ne suis resté que cinq semaines sur les deux mois auxquels j’avais droit au Venezuela.  C’est donc avec mon passeport dûment tamponné par l’immigration vénézuélienne que je me dirige vers le poste frontière brésilien. Mais là, petit problème… Lorsqu’il me demande combien de temps je compte rester au Brésil, je lui dis, selon mes estimations, que j’aurai besoin de deux semaines au minimum et que, donc, s’il pouvait me donner trois semaines ce serait bien. Il faut dire qu’en théorie, en tant que touriste français, j’ai droit à trois mois. Seulement, le bonhomme est peut-être de mauvaise humeur parce qu’il ne me donne que dix jours. Comme je pense que ça ne sera pas suffisant, j’insiste auprès de lui pour qu’il me donne au moins deux semaines. Malheureusement, il ne cède pas, arguant même que les français accueillent très mal les brésiliens quand ils viennent en France, ce à quoi je réponds que c'est "seulement dans les stades de foot"… Bon, il n’apprécie pas vraiment mon humour et me rend mon passeport en me disant que, de toutes façons, je pourrais le faire prolonger en allant voir la Policia Federal à Manaus.

 

J’entame donc le stop de la journée un peu dépité. Heureusement, ça marche plutôt bien et, en fin d’après-midi, je suis à Boa Vista où je descends au même hôtel que lors de mon arrivée du Guyana. c'est le six décembre.

 

Tôt le lendemain, j’entame le long trajet d’environ 1000 Kms de Boa Vista à Manaus. Je ne suis même pas encore sorti de Boa Vista qu’un premier véhicule me prend en stop pour m’amener à la sortie de la ville où ce sera bien plus facile pour moi. En l’occurrence il s’agit d’une moto comme il y en a beaucoup sur place. C’est un peu folklo avec mon ENOOOORME sac-à-dos et ma guitare mais on y arrive et je remercie chaleureusement le jeune motard qui, par son geste, m’évite deux bonnes heures de marches sous un soleil de plomb.

 

Je connais des fortunes diverses en ce premier jour de stop vers Manaus. Ceci dit, je parcours environ 300 Kms. Le midi, je suis dans un bled où je me restaure et rencontre deux ados sympas qui me font la causette pendant que j’attends qu’on m’emmène plus vers le sud. Les villages se ressemblent beaucoup par ici. Ils sont organisés autour de cette route nationale BR 174. Il y a beaucoup de terre rouge, de nombreux petit bar-restos-auberges pour routiers, et de nombreux et inévitables chiens errants, ce qui n’est pas pour me déplaire. Souvent je sympathise avec l’un d’eux quand je fais du stop et parfois certains me suivent sur une bonne distance. La BR 174 est bien souvent la seule route goudronnée du village, les autres rue sont des chemins de terre (rouge, bien sûr) ce qui fait que tout est bien poussiéreux.

 

Une chose qui m’étonne tout de même, c’est que je ne suis pas en pleine forêt. Je m’explique : sur la carte que je possède, une bien belle carte d’ailleurs, c’est tout vert. Et ça, je pensais que ça voulait dire que ce n’était que de la forêt, surtout que je me dirige vers Manaus, et que Manaus c’est sur les bords de l’Amazone. Eh ben non ! En fait, l’essentiel du paysage est composé d’une végétation qui s’apparente plus à de la savane qu’à une forêt tropicale. Ravage de la déforestation ou  paysage normal du coin ? Voilà une question à laquelle je ne saurais répondre. Ceci dit, je passe par des endroits où les traces d’une déforestation intensive sont évidentes. Des troncs coupés à perte de vue. J’avancerais l’hypothèse suivante : Si l’on doit couper des arbres pour exploiter le bois il est plus facile de le faire sur le bord de la route tout le long de la route que de choisir un point et s’enfoncer après dans la forêt avec tout ce que cela comporte comme problèmes d’acheminement du matériel et de la production. Donc, il est normal que le long de la route soit assez à découvert.

 

Bref, un camion s’arrête et m’emmène sur une bonne centaine de kilomètres. Le chauffeur et son collègue sont sympas. Ils parlent espagnol, ce qui m’arrange bien. Ils m’expliquent qu’ils sont plus ou moins des gitans et que l’entreprise pour laquelle ils travaillent est une entreprise de transport argentine qui appartient à l’oncle de Che Guevara, en fait, au frère de son père. Moi ça ne me parle pas trop parce que le Che, je ne connais pas vraiment. Bien sur, je sais que c’était un révolutionnaire et qu’il a à voir avec Cuba, mais je n’en sais pas beaucoup plus. Ceci dit, son côté révolutionnaire ne peut que m’inspirer de la sympathie à son égard. Je me rappelle aussi que mon prof d’histoire de terminale, monsieur Martin, nous avait raconté un peu son histoire et notamment sa fin en 67 en Bolivie. La date de sa mort m’avait marqué car c’était le 9 octobre, jour de la naissance de John Lennon.

 

Enfin, vers les 15H, ils me déposent à une espèce de bar-relais où je m’amuse avec les animaux : cochons, poules, chèvres avant de boire un coup et de tendre à nouveau le pouce. Deux heures plus tard, alors que je pensais devoir planter la tente dans le coin, un camion avec trois gars dedans  me prend. Les trois se sont bien désaltérés, surtout celui qui est le plus près de moi… Ce dernier me parle, et me parle, et me parle encore alors que je ne comprends pas 2 % de ce qu’il me raconte. Déjà que j’ai encore du mal avec l’espagnol, mais alors le portugais ! Et le portugais bourré y a pas moyen… Ceci dit je rigole bien en cabine avec les trois bonhommes. Je leur joue quelques morceaux des Beatles à la gratte.

 

Ça leur plait tellement que l’un d’eux, le plus tranquille, c'est-à-dire pas le chauffeur ni mon interlocuteur incompréhensible, mais l’autre, m’invite à dormir chez lui. Avant cela il y a le repas… Nous sommes donc arrivés dans une espèce de village de routiers. Il faut dire qu’avec ma tête d’européen, mon ENOOOORME sac-à-dos et ma guitare, je suis un peu une curiosité pour tous ces gens là. Les gens du camion, ayant repris leur désaltération, m’offrent des coups à boire. Comme je ne bois pas d’alcool, à leur grand étonnement, ils me font servir un jus de fruit délicieux. Ça fait penser à de la groseille mais ça n’en est pas. Le nom du fruit m’échappe. Tant pis. En tout cas, c’est vraiment délicieux comme jus…

 

Ensuite, ils m’invitent aussi pour le repas. Et là c’est un peu la classe, puisqu’ils mangent dans une espèce de Buffalo Grill typique du coin. La viande y est délicieuse et je me régale. Après ça, je gratte et chante encore un peu puis je prends congés de mes bienfaiteurs du jour. Je me retrouve seul avec le troisième gars du camion, celui qui m’invite à dormir chez lui, à marcher à travers les ruelles sombres de ce village de routiers perdu entre la frontière vénézuelienne et Manaus. Une fois chez lui, il me présente sa femme et me donne une chambre inoccupée. Je le remercie, leur souhaite une bonne nuit et me couche en pensant à cette riche journée.



Le lendemain matin je remercie comme il se doit mon hôte qui ne cesse de me répéter qu’il m’a accueilli de bon cÅ“ur, ce dont je ne doute pas une seconde vu que c’est apparemment l’une des principales qualité du bonhomme : Un très grand cÅ“ur ! Il m’offre aussi un petit déjeuner que je refuse parce que je ne veux pas abuser,  en le remerciant encore pour toute sa gentillesse. Puis je regagne l’endroit où je suis arrivé hier soir.

 

De jour, ça n’a pas vraiment le même aspect que la nuit. Il s’agit en fait d’un grand espace de terre rouge  au bord de la BR 174 où l’on trouve pêle-mêle tout ce qu’il faut pour l’entretien des camions et de leur camionneurs : Garages, pompes à essence, re-pneuteurs (enfin, vous voyez ce que je veux dire… des spécialistes des roues !), bars, restos et auberges. Le tout sous le soleil vertical de ces régions équatoriales. En consultant un peu ma carte, je comprends mieux pourquoi, spécialement ici, on trouve une telle agitation. Je me trouve en fait à Nova Paraiso à l’intersection de deux axes majeurs du nord du Brésil. D’une part la BR 174 et d’autre part la trans-amazonienne qui longe à peu près l’équateur depuis Macapa, et donc, grosso modo, depuis l’Atlantique. Nous avons donc un axe Nord-Sud et un autre Est-Ouest qui se croisent en ce trou paumé au milieu de nulle part qu’est Nova Paraiso ! C’est donc moins une coïncidence si mes routiers d’hier m’ont déposé ici. J’imagine qu’aujourd’hui ils repartaient vers le nord ou alors vers l’ouest (oui, la trans-amazonienne ne va pas plus à l’est qu’ici).

 

Quoiqu’il en soit, je ne les ai pas revu. Et je commence donc une difficile journée de stop qui ne me verra vraiment décoller que vers les 14H, après 6 bonnes heures d’attentes au même endroit. Heureusement que j’ai ma guitare pour tromper l’ennui. Enfin, un camion m’emmène vers le sud et me dépose dans un bled comme ceux des jours précédents. Je mange un bout et recommence le stop vers les 17H en me désespérant un petit peu. En plus, je suis un peu déçu parce qu’on est le huit décembre, c’est mon anniversaire : 26 ans le gars Yoyo, et je comptais bien passer l’Equateur aujourd’hui, ça m’aurait fait un beau cadeau, symbolique certes, mais tout de même… Vu comme c’est parti ça m’étonnerait que ça se fasse…

 

Bon, quand même,  peu avant que la nuit ne tombe, un camion s’arrête pour moi. A l’arrière il y a déjà pas mal de monde. Ce camion est comme un pick-up, c'est-à-dire que la partie de derrière est à découvert. Ça tombe bien, malgré l’heure avancée du jour il fait encore bien chaud. J’apprends que tout ces gens sont des musiciens se rendant dans une communauté indienne vivant le long de la BR 174 afin d’animer une soirée pour ce jour de fête. Bien sûr, la fête n’est pas pour mon anniversaire mais pour l’immaculée conception qui est un jour férié dans ce pays ou la religion n’a qu’un rival : le football. Ils m’invitent à la fête et j’accepte avec plaisir pour ce qui va, à mon avis, largement rattraper le coup de l’équateur dans le rôle du cadeau d’anniversaire !

 

On arrive au village un peu plus tard alors qu’il fait déjà bien nuit. Pour le coup, ça a l’air différent des villages précédents. Un peu plus en retrait de la BR 174, et, à ce que j’en distingue, que d’un seul côté de celle-ci, ceci expliquant peut-être cela. Le monsieur qui semble être le responsable de la communauté, le maire, le chef de la tribu, ou je ne sais quoi, nous invite, le groupe de musiciens et moi, à manger dans sa maison. On nous sert l’éternel poulet avec du riz et des haricot rouge et en mangeant je me dis que j’ai vraiment de la chance de me trouver là à vivre toutes ces choses là. C’est vrai quoi ! Sur 26 anniversaires c’est bien la première fois, et sûrement la dernière, que je me fait inviter à manger par le chef d’une communauté indienne de l’Amazonie avant d’assister à une fête locale et ce à quelques kilomètres de l’Equateur !

 

Ensuite, je propose mon aide aux musiciens alors qu’ils installent leur matériel. Ils me répondent que je peux leur gratter quelques morceaux de chez moi en attendant qu’ils soient prêts. Considérant Liverpool comme chez moi, ce qui est un peu vrai puisque j’y vivais il y a encore six mois, je leur chante quelques titres des Beatles et m’aperçois avec joie que les gens du villages venus attendre le début de la soirée apprécient ce que je leur chante et en redemande même. En gros je me retrouve à chauffer la salle pour les musiciens brésiliens, pour mon plus grand bonheur.

 

Enfin, ils sont prêts. Le vrai show peut commencer. En les voyant jouer je me dis que j’ai bien fait de chanter avant eux car je n’aurais pas oser chanter après, ils sont vraiment bons les bougres. Même si je ne connais pas les chansons qu’ils chantent j’apprécie ce qu’ils font. Je passe donc la soirée à les écouter et admirer les gens qui dansent tous mieux les uns que les autres. Le plus hallucinant c’est que j’ai l’impression qu’ils savent tous danser. Il y a notamment une fille, peut-être quinze ans, pas plus, qui n’arrête pas de danser, mais alors pas du tout, et on voit qu’elle s’amuse vraiment. Ã‡a fait plaisir à voir toute cette joie provoquée par de la musique rythmée et chaloupée juste comme il faut.

 

 Vers les 2H, je décide d’aller me coucher parce que je suis bien fatigué. Je choisis les buts du terrain de foot pour tendre mon hamac. Car oui ! Il y a un terrain de foot dans cette communauté qui ne compte pas plus de 200 habitants à tout casser… Quelques heures plus tard, de mon hamac, je suis le témoin d’un magnifique lever de soleil avant de me rendormir pour quelques heures. Les musiciens sont partis sans que je n’aie eu l’occasion de leur dire «au revoir», tant pis. Tout s’est bien déroulé dans la fête et c’est l’essentiel, et pour ma part, j’ai passé un merveilleux 8 décembre 2000.

Je reprends la route vers les 11H et me retrouve un peu plus loin après un premier véhicule. J’attends là au moins deux heures et en profite pour composer une petite chanson avant qu’un routier bien cool ne propose de m’emmener jusqu’à Manaus aujourd’hui même, car d’après lui on y sera ce soir. En plus, je passe l’Equateur à bord de son camion et me retrouve pour la première fois dans l’hémisphère sud. Même si ce n’est qu’une ligne imaginaire ça me fait quand même plaisir.


Peu après qu’il m’ait pris, nous nous arrêtons pour manger dans un restoroute qu’il connaît apparemment très bien et je lui offre le repas pour le remercier. Il refuse mais accepte finalement que je lui paye le café. Puis, nous repartons. Le paysage change un peu. Nous passons au bord d’un lac où, d’après lui, il y a des crocodiles. Nous traversons aussi une «réserve» où vivent des amérindiens. C’est un territoire totalement protégé, si ce n’est pour la BR 174  qui la coupe en deux… Il s’agit de l’Area Indigena Waimiri Atroari. J’y vois deux amérindiens marchant le long de la route. Pour ce que j’en distingue depuis le camion ils ressemblent à ce que l’on peut voir dans des reportages photo ou télé : ils sont mate de peau, torse nu, avec de nombreux ornements du genre colliers et bijoux, notamment dans les cheveux.



C’est assez furtif comme contact, mais le chauffeur me fait comprendre que c’est interdit de s’arrêter quand on traverse la réserve. Il ne faut pas entrer en contact avec les indiens du coin. Seul une autorisation du ministère qui délivre ce genre d’autorisation peut permettre à quelqu’un qui n’est pas de la réserve d’y séjourner et d’entrer en contact avec les indiens.


Peu avant d’arriver à Manaus le chauffeur s’arrête chez des amis. Nous nous retrouvons donc dans une maisons faite de planches et d’un toit de tôle, très rudimentaire, en bordure de la BR 174. L’ami du chauffeur semble vivre seul avec ses deux enfants de 6 et 8 ans. Outre que je m’amuse avec les enfants, je suis enchanté par la présence de plusieurs chiens, de poules, canards, cochons et autres animaux de la ferme. On m’offre aussi à boire et l’on me fait goûter au jaq. C’est un fruit énorme, pas autant que mon sac-à-dos, certes, mais énorme tout de même. Ã‡a pousse dans des arbre et se présente sous la forme d’un cylindre d’environ vingt centimètres de diamètre sur peut-être trente à quarante de long. En fait, l’extérieur est comme une croûte ressemblant à celle des lichies au niveau de la texture, mais de couleur vert clair. Lorsque l’on ouvre le machin, l’on trouve à l’intérieur un tas de noyaux, peut-être une quarantaine. En fait, l’intérêt du jaq vient de la membrane externe des noyaux qui se mange et qui possède un goût à mi-chemin entre l’ananas et la banane, enfin, à mon avis… Moi, en tout cas, je me régale et m’en mets plein la pense. Il faut dire que l’arbre est encore plein de jaq et qu’un seul suffit à rassasier au moins deux ou trois personnes.


Nous prenons une photo souvenir avec le chauffeur, le monsieur et ses enfants et nous repartons en direction de Manaus où nous arrivons en toute fin d’après midi. Je remercie manuel, le chauffeur, et me met en quête d’un hôtel que je trouve finalement dans le coin des hôtels à touristes, pas trop cher mais quand même…

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