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La Bolivie (3)

Che par ici, Che par là...

De Tarija, je prends un bus très tôt pour Camiri où j’arrive en début d’après-midi. A partir de là, il n’y a plus vraiment de transport en commun pour me rendre à La Higuera. En gros : il faut se démerder. Qu’à cela ne tienne. Je tends le pouce et marche un peu le long de la piste qui sort de Camiri par l’est, en direction de Monteagudo et Padilla. Au bout de quelques heures de galère, je suis pris en stop par le chauffeur d’un camion transportant du maïs. Attention, pas des sacs de maïs, non, juste une benne pleine de plusieurs tonnes de maïs.


Comme il a déjà pris d’autres pasagers, des paysannes du coin, et qu’elles se sont installées dans la cabine avec lui, je me retrouve en haut du tas de maïs, à l’arrière, dans la benne : pied ! Eh oui ! Parce que sur une piste de terre toute défoncée par des années d’intempéries et d’absence de politique de développement ou d’entretien des infrastructures, voyager sur un tas de maïs est probablement l’une des solutions les plus confortables. Au moment du repas du soir, la dernière passagère descend et je me retrouve à manger avec le chauffeur dans un bouiboui au bord de la route.


Nous reprenons ensuit notre périple, mais cette fois, comme en plus il fait nuit, je suis en cabine avec lui. Cela me donne l’occasion de parler longuement avec lui et d’apprendre pas mal de choses sur la vie en Bolivie et sur lui en particulier. Il m’explique notamment que les chauffeurs comme lui font régulièrement des horaires de malade ! Il n’est pas rare de devoir conduire 24 heures d’affilées, voire, parfois même, 48 heures. Son ‘record’ personnel, c’est 72 heures. Il n’avait pas le choix. Bien sûr, il mâche de la coca pour ne pas s’endormir, mais cela reste très dangereux pour lui. J’en ai d’ailleurs la preuve quand, vers 22H, il s’arrête pour déposer un bouquet de fleurs au bord de la route. Il me raconte alors comment son propre père, chauffeur comme lui, est tombé dans ce précipice, ici même, parce qu’il s’est endormi au volant au cours d’un de ces trajets inhumains.


Le choc suivant me frappe lorsqu’il me dit son âge : Il est plus jeune que moi. Il n’a que 24 ans et en paraît facilement dix de plus. Je n’en reviens pas. La vie n’est vraiment pas facile par ici, et je mesure encore une fois (une énième fois au cours de ce voyage) à quel point je suis privilégié d’être né ‘au bon endroit’…


Le bouquet final de cette journée déjà très enrichissante intervient vers minuit quand le chauffeur s’aperçoit que l’un de ses pneus a crevé. Après le déraillement de train, le glissement de terrain et l’accident entre mon bus et un camion de briques au Pérou, je ne devrais plus m’étonner en voyant la ressource des latino-américains quand il leur arrive une couille, eh bien je me trompe. En effet, à ma surprise la plus totale, le voilà qui sort un cric, soulève le camion avec et démonte la roue avant gauche (celle qui a crevé, bien sûr). Je lui demande (attendant plus une confirmation qu’autre chose) s’il a une roue de secours. Mais il me répond que non, il en a une pour l’arrière mais pas pour l’avant. Qu’à cela ne tienne, le voilà qui, à coup de marteau et de burin, commence à démonter carrément le pneu. Il sort ensuite la chambre à air, cherche et trouve le trou avant de le reboucher à l’aide d’une rustine. Oui, d’une rustine. Comme on ferait pour une crevaison à vélo (et encore, pas tout le monde…), ce jeune homme de 24 ans vient, au milieu des montagnes boliviennes, à une heure du matin, de réparer une roue de camion de 15 tonnes comme on réparerait une roue de vélo. Mais comment la regonfle-t-il allez-vous me dire... Rien de plus simple, il a dans son camion un  tuyau qu’il branche sur une sorte de compresseur (probablement relié au moteur) sous son siège. Incroyable ! J’en reste vraiment coi. Une heure plus tard il me dépose aux abords de Padilla où je plante ma tente derrière un fourré avant de m’endormir. Il est 3 heures du matin.


Je fais à nouveau du stop le lendemain matin et me fais rapidement déposer à l’intersection de La Higuera, juste avant le bled de Pucara. Il me reste 7 kilomètres à faire et je dois les parcourir en marchant. Mon énorme sac-à-dos, ma guitare et mes victuailles ajoutées au soleil de plomb et à la poussière rendent ce moment assez pénible… Quoiqu’il en soit, je suis à La Higuera vers midi et j’en profite pour déjeuner sur place. Bon, La Higuera c’est juste une rue bordée de quelques maisons de chaque côté mais j’y trouve quand même une dame qui accepte de me faire un repas à base d’œufs et de pommes de terres pour une somme modique.


Bien entendu, je vais évidemment voir l’école dans laquelle a été détenu puis exécuté Ernesto Che Guevara. Depuis, Le gouvernement cubain, par une forme d’ironie, a décidé de financer la transformation de cette ancienne école en un dispensaire médical pour venir en aide aux paysans (pauvres) de La Higuera. C’est ironique parce que le Che était médecin et qu’il essayait d’améliorer les conditions de vie de ces mêmes paysans (dont certains l’ont dénoncé aux militaires).

Bon, ceci dit, à part voir l’école et se poser un peu dans ce lieu vraiment reculé et perdu, il n’y a pas grand-chose à faire à La Higuera. J’en repars donc dans l’après-midi, toujours à pied, puis en stop, pour arriver à Vallegrande. C’est dans cette petite ville que l’armée bolivienne a transporté puis exposé puis enterré le corps du Che le 9 octobre 1967. Je continue donc mon petit ‘CheTour’ en allant voir la fosse commune où son corps est resté enterré une trentaine d’année avec 6 de ses compagnons de lutte, au bout d’une piste de l’aérodrome désaffecté de Vallegrande. 

Je passe ensuite la nuit à Vallegrande avant de repartir pour la grande ville de l’est de La Bolivie : Santa Cruz de La Sierra. Il y fait plus chaud, l’ambiance est très relax et l’on sent que le niveau de vie (il y a du pétrole et du gaz pas très loin) est plus élevé que dans le reste du pays. Mais je ne souhaite pas m’attarder plus que cela. Santa-Cruz n’est pour moi que le point de départ d’un long trajet en train qui va me faire traverser une zone de plaine et de savanes immense (la moitié de la largeur du pays) jusqu’à la frontière avec le Brésil.


Le trajet en train se déroule sans histoires et au bout d’une vingtaines d’heures je rentre à nouveau au Brésil. Mais, rappelez-vous, la dernière fois, quand je suis sorti du Brésil à Tabatinga, je m’étais un peu énervé avec un gars de la policia fédéral qui voulait me faire payer une amende. Il m’avait dit que je n’étais pas obligé de payer l’amende avant de quitter le pays, mais que si je souhaitais y rentrer à nouveau, je devrais m’en acquitter. Et ça ne loupe pas. Non seulement les gars de l’immigration s’aperçoivent en feuilletant mon passeport que je dois payer cette amende, mais, en plus, ils l’actualisent en fonction du taux de change du jour. Le Réal ayant perdu de sa valeur (une trentaine de pourcents) ces derniers mois, je pensais que je payerai 30 % de moins… Que neni ! Ils réajustent l’amende et je ne peux y échapper. Je suis un peu dégoûté et un peu énervé. Surtout que, à la base, l’amende était totalement injustifiée… M’enfin…

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